Situé à une vingtaine de kilomètres de Hanoi, le village de Cu Da est célèbre pour ses maisons à l’architecture traditionnelle vietnamienne et française, construites entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. A l’apogée de cette époque, on y décomptait plus de 400 belles demeures. Cette particularité fait du village une destination fort prisée des touristes. Et pourtant, Cu Da est menacé de perdre son originalité ainsi que son atmosphère d’antan. De nombreux villageois ont décidé de construire de nouveaux logements. La ruée est telle que le vénérable site ressemble désormais à un vaste chantier. Tous les jours, un flot continu de cyclomoteurs transportant
briques, béton, ferraille et autres matériaux, entrent et sortent du village. Des magasins de matériaux de construction et des agences immobilières y ont ouvert leurs portes. Les responsables de la commune assurent comprendre les aspirations de leurs administrés : la population ne cesse d’augmenter et les conditions de vie dans les anciens logements se dégradent aussi rapidement.
Avec les indemnités reçues en compensation de la saisie de leurs terres agricoles pour laisser place à un projet urbain, de nombreux habitants ont projeté de changer de
maison, explique Vu Thanh Ngoc, président du comité populaire de la commune de Cu Khe dont fait partie le village. Le programme d’expropriation prévoit une compensation de 351 millions de dongs [11 600 euros] pour 360 mètres carrés de terrain. Une famille obtiendrait donc en moyenne entre 50 000 et 60 000 euros pour ses
terres. Certaines ont reçu près de 200 000 euros.
Il n’est guère étonnant qu’avec ce pécule, les villageois se précipitent pour s’offrir une nouvelle maison. «Avec 3 milliards de dongs en poche [99 000 euros], mon fils a décidé de s’offrir quelque chose de neuf», se souvient Trinh Dinh Binh, qui a vu sa demeure bicentenaire, considérée comme l’une des plus belles du village, remplacée par un bâtiment moderne à trois étages. «J’ai essayé de l’en dissuader mais en vain. Il ne voulait pas rester dans l’ancienne maison, tombée dans un triste état. Je dois reconnaître que même si nous l’avions gardée, elle serait en ruine à l’heure qu’il est», confie l’ancien propriétaire.
Certes, les maisons à étage, équipées de la climatisation, séduisent un grand nombre de personnes. Pourtant, les anciennes habitations sont plus aérées et plus saines durant les mois d’été, grâce à leur architecture et à leur conception intelligente. Malheureusement, les nouveaux bâtiments, souvent plus hauts que les vieilles demeures, arrêtent le vent et l’air frais en provenance des champs et de la rivière voisins.
Monsieur Sung, propriétaire d’une vieille demeure très connue, assure n’avoir aucune intention de la remplacer : elle est suffisamment spacieuse pour lui-même, son épouse et sa tante depuis que ses enfants sont partis travailler ailleurs. Pour autant, le septuagénaire pense qu’il ne pourra probablement pas résister très longtemps, à cause des risques d’effondrement que font courir les nombreux chantiers voisins. «Ce serait terrible pour moi de raser la maison que j’aime et que j’ai préservée toute ma vie.
Elle est célèbre, il y a une foule de gens qui viennent la visiter tous les jours. Mes enfants n’y sont pas attachés parce qu’ils n’en tirent pas un sou. Mais je sais que nous ne pouvons pas laisser tomber notre travail sans arrêt pour accueillir les visiteurs, ça prend du temps et nous, nous ne gagnons rien en échange», expliquet-il. Il n’est pas le seul à être démotivé par l’absence de gains financiers liés à l’attrait des maisons anciennes. Vu Van Chung, vice-président du comité populaire de Cu Khe, se plaint des difficultés qu’il rencontre à convaincre les propriétaires de garder leurs habitations intactes. Celles-ci se détériorent mais les propriétaires ne reçoivent aucune aide pour les entretenir. Et ne tirent aucun bénéfice de leur réputation touristique.