Architecte dans le 14e arrondissement de Paris, Kirkor Kalayciyan revêt à l’occasion une combinaison, un chapeau et une voilette, sa tenue d’apiculteur. La ruche qu’il a posée en juin 2010 sur le toit de son atelier affiche un bon rendement : 12 kilos de miel dès juillet 2010, puis la même quantité en septembre. La récolte de cette année, dopée par le printemps ensoleillé, s’annonce exceptionnelle. «Les abeilles butinent dans un rayon de 3 kilomètres : au parc Montsouris, à proximité de l’ancien chemin de fer de la petite ceinture, au cimetière du Montparnasse, mais aussi dans les squares des environs ou sur les sophoras de la rue d’Alésia», précise-t-il. L’occupation convient à son emploi du temps chargé. «Quand j’ai un moment, j’observe les butineuses se lancer sur la planche d’envol et les gardiennes surveiller les alentours», raconte-t-il.
Paris compterait plusieurs centaines d’apiculteurs amateurs, un chiffre en constante augmentation depuis une dizaine d’années. Henri Clément, ancien président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) se souvient du temps où élever des abeilles passait pour une activité «folklorique». Désormais résiduelle aux abords des champs où l’agriculture intensive épand ses pesticides, l’apiculture a retrouvé ses lettres de noblesse en ville. Les scientifiques ont constaté que les abeilles, dont la survie apparaît aujourd’hui menacée, y résistent davantage. Le taux de mortalité ne dépasse pas 10 % en milieu urbain, trois fois moins que dans l’ensemble du territoire, et la production de miel y atteint 18 kg par an, soit 6 kg de plus que la moyenne.
Les raisons de cette forme étonnante ? «On ne trouve pas de pesticides en ville mais une plus grande diversité d’arbres», invoque Henri Clément. De plus, toutes les plantes sont arrosées, même en été, et la température constatée à Paris dépasse de deux ou trois degrés celle de la grande banlieue. Exercées à filtrer la pollution atmosphérique, les abeilles ne seraient gênées, en ville, que par la prolifération des ondes.
L’Unaf a lancé en 2005 le programme «Abeille, sentinelle de l’environnement» qui consiste à «implanter des ruches dans les villes pour sauver l’apiculture des campagnes». Des abeilles prospèrent sur les toits des sièges sociaux du distributeur de gaz GRdF ou de L’Oréal à Paris, au Hameau de la reine dans le parc de Versailles ou encore dans
certaines mairies. «Les villes du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis sont particulièrement demandeuses », souligne Dominique Cena, qui a fait de l’apiculture son activité principale et intervient pour l’Unaf dans les communes de la proche banlieue parisienne.
Si elle est parfois assimilée à un animal de compagnie autonome qui se nourrit et se nettoie seul, l’abeille demeure exigeante. Elles peuvent être malades, manquer de ressources ou subir l’attaque d’un parasite. Lorsque la ruche se porte trop bien, à l’inverse, vient le temps de l’essaimage. L’ancienne reine, entourée d’une partie de ses sujets, trouve refuge ailleurs. Les apiculteurs interviennent régulièrement pour déloger un essaim incrusté dans une cheminée ou sur une terrasse.
La réglementation exige une déclaration à la préfecture, les ruches doivent être placées à plus de vingt mètres d’une voie publique et protégées d’une paroi de deux mètres de hauteur. Dans le 14e, Kirkor Kalayciyan a pris l’habitude d’amadouer ses voisins réticents avec un petit pot de miel.